Innover et expérimenter en période de crise : risque ou opportunité ?

Innover et expérimenter en période de crise : risque ou opportunité ?

Le confinement et la distanciation sociale que nous vivons nécessite des adaptations des personnels de l’enseignement, des familles et des élèves pour assurer une continuité pédagogique et didactique. Dans ce contexte, la Dfie est plus que jamais à l’écoute des besoins : comment aider ces différents acteurs à dépasser les difficultés rencontrées ? Comment faire de cette situation de crise une opportunité pour repenser ses pratiques et son travail personnel ? Nous souhaitons apporter notre contribution en partageant notre réflexion et en ouvrant des questionnements parce que les réponses viendront du collectif ainsi qu’avec le temps et l’analyse de l’expérience..

L’éducation, la pédagogie comme l’apprentissage reposent sur une articulation fine entre un travail individuel cognitif pour une construction des savoirs et un travail collectif de coopération, de collaboration ou encore de collégialité pour partager ce travail et favoriser l’appropriation de ces savoirs. Si nous n’anticipons pas les conséquences psychosociales de cette crise dans une démarche globale de santé publique, le contexte actuel et exceptionnel peut mettre à mal ces processus de construction des savoirs par l’apprentissage social. Nous avons donc l’opportunité de renforcer les démarches éducatives pour la promotion de la santé, de la qualité de vie en milieu scolaire et du bien-être des personnels comme des élèves dans une démarche de co-éducation pour répondre aux besoins de tous et assurer ce lien social indispensable à la continuité pédagogique et éducative.

L’académie de Lyon met en place deux cellules d’appui pédagogique à destination des familles et les établissements et circonscriptions ont mis en place des cellules de crise pour répondre à l’urgence. Le réseau de la GRH de proximité se mobilise pour répondre aux besoins qui pourraient s’exprimer de tous les agents de l’académie via la plateforme Proxi-RH. Hervé Carresse, ancien colonel des sapeurs-pompiers et ancien directeur de la formation des sapeurs-pompiers, spécialiste de la gestion de crise et de la communication de crise a partagé son expertise  lors du webinaire Manag’éduc du 18 mars pour conduire des cellules de crise. Il a souligné que le confinement sur le long terme va générer des tensions dans le milieu familial, avec des situations psychologiques et émotionnelles difficiles à gérer pour des publics fragiles, que la pression de la continuité pédagogique et le retour en milieu scolaire risquent d’exacerber. Pour identifier les élèves à risque, anticiper et traiter les priorités, il propose de construire une matrice des risques. Si les facteurs de risques socio-économiques ou liés à l’environnement familial sont généralement connus, ils peuvent évoluer avec le prolongement de la crise et ses conséquences économiques, mais ce sont des facteurs sur lesquels la communauté éducative ne peut guère agir. Par contre, elle peut estimer les risques de rupture de la continuité des apprentissages et de la continuité pédagogique et éducative et développer des compétences pour les prévenir.

 

Confinement et continuité des apprentissages : un lien salutaire pour nos élèves
Olivier Bihel, chargé de mission innovation expérimentation

Les apprentissages scolaires sont disciplinaires, de l’ordre des connaissances et des compétences pour chacune d’entre elles, ils sont aussi, par nécessité, des apprentissages de soi et des compétences psychosociales à développer de manière transversale à chaque discipline pour s’adapter et inventer ce qui est « le temps du confinement » pour chacun d’entre nous. Pour nos élèves adolescents plus particulièrement, c’est un temps qui pourrait-être traumatisant si nos réponses, de notre place, n’étaient pas adaptées.

Tous, nous devons nous considérer comme légitimes pour mettre en œuvre des stratégies d’accompagnement psychosocial des mesures liées au confinement, afin de rendre celui-ci le plus acceptable possible.

Cela signifie adopter une approche de santé globale qui combine la décision à visée collective sans négliger de déployer des interventions empathiques, bienveillantes, centrées sur les besoins particuliers des usagers de nos établissements. Cette communauté d’usagers est en effet composée d’individus, élèves et  parents, qui ont besoin de sentir qu’ils comptent en tant que sujets uniques et singuliers dans la préoccupation des autorités de santé publique et de celle de l’école. Nous devons profiter d’un avantage absolu ; celui de la confiance de nos élèves et des familles dans notre capacité collective à répondre présent dans ce moment d’exception. Déjà, ils nous le rendent bien !

Prendre en compte, par nécessité et souci de protection, les déterminants de santé globale pour la réussite de nos élèves, c’est s’autoriser à travailler avec eux et pour nous-mêmes sur nos rythmes et rituels journaliers, sur les temps scolaires et de travail, sur les lieux et les espaces intimes privés et sociaux, sur nos « météos » émotionnelles, sur et pour une éducation relationnelle tenable et durable, sur nos capacités à conserver une distance critique face aux flux continus d’informations de nos réseaux sociaux préférés. Profiter de ces temps nouveaux pour être curieux, créatifs. S’interroger sur nos capacités à reconnaître les éléments positifs, prendre soin de soi, du respect de l’autre, et des temps de convivialité. C’est se réinterroger sur la mise en valeur des rendus et productions de chaque élève, faire preuve régulièrement de gratitude envers eux pour avoir fait corps avec l’ensemble de notre société en « consentant » à l’exigence du confinement.

Se développent aujourd’hui, dans toutes les disciplines, des ancrages disciplinaires et des propositions pédagogiques qui prennent appui sur le quotidien et l’environnement confiné de l’élève ; ces propositions sont les plus efficientes pour garder le lien et permettent à l’élève de prendre le pouvoir sur lui plutôt que de subir.

 

De la continuité des apprentissages à la continuité éducative
Laurence Villeneuve, chargée de mission innovation expérimentation

La continuité pédagogique est de la responsabilité des acteurs de la sphère éducative alors que la continuité des apprentissages relèverait du travail personnel des élèves. La question qui nous occupe pourrait être la manière d’articuler ces deux pôles en s’appuyant lorsque c’est possible sur la disponibilité des parents.

L’idée d’une transposition des modèles pédagogiques en établissement est d’emblée une incohérence. Nous savons bien que les modèles ne se transposent pas mais essaiment pour s’adapter aux besoins et objectifs identifiés dans un contexte défini. Il convient pour chaque secteur de définir ce que sont les besoins, les priorités, les objectifs avant de déterminer les actions à mettre en place et les moyens à mobiliser pour y parvenir. C’est donc bien une démarche de projet, coordonnée, pilotée qui doit prendre maintenant la suite de la phase de recherche d’organisation dans l’urgence des premiers jours.

Quelques points d’appui pour situer la réflexion à conduire dans cette démarche de projet :

  • Assurer l’organisation de la continuité pédagogique alors même que la rupture est présente dans de nombreux domaines : outils, supports, environnement. Quels gestes professionnels, quels enseignements cibler, quels outils utiliser ? Comment interagir avec les élèves pour favoriser leur accrochage ? Dans le quotidien d’un établissement, les élèves sont contraints d’être au moins présents en classe puisque l’environnement est organisé pour cela. Comment capter leur attention, leur intérêt alors même qu’ils sont seuls, sans doute avec un portable à portée de main, d’oreilles et d’yeux… Quels gestes professionnels (postures, attitudes, outils…) peuvent favoriser la création de ce lien à distance ?
  • Favoriser la continuité des apprentissages : les apprentissages didactiques sont au cœur des préoccupations ; mais la situation ne nous invite-t-elle pas à prendre en compte également des apprentissages sur le plan organisationnel, sur le plan des outils et supports digitaux nouveaux pour beaucoup ? L’apprentissage du “vivre/travailler ensemble” n’a – t-il pas aussi sa place dans cette période où les liens sociaux sont mis en veille, à mal ? Ne serait-ce pas une façon de commencer à anticiper le retour des élèves dans les établissements, de maintenir un sentiment d’appartenance à la communauté des apprenants, à la communauté éducative ? Nombre d’activités peuvent s’envisager en soutien de ces objectifs.
  • La mobilisation du principe de co-éducation : comment inviter les parents à prendre part à l’organisation de cette continuité des apprentissages pour les élèves (engagement scolaire, maintien du lien social, connaissance de soi…) ?

Quelques principes qui peuvent soutenir cette démarche :

  • Assurer l’égalité devant les apprentissages avec des travaux proportionnés dans les contenus, la quantité et le temps à y consacrer pour éviter l’anxiété, la surcharge cognitive, le manque de sens, le découragement donc le décrochage. Cela nécessite une coordination entre professeurs ou, à défaut, il convient de prendre en compte que plusieurs professeurs sont susceptibles de donner du travail et qu’en l’absence d’accompagnement pédagogique et méthodologique l’élève peut très vite être en difficulté.
  • Respecter les principes de l’école inclusive
  • Prendre en compte la notion de sentiment d’efficacité personnelle
  • Répondre au besoin de maintenir une certaine routine dans le quotidien pour préserver : des repères temporels et permettre de conserver une cohérence sociale entre les membres à l’intérieur de la famille et préserver les rythmes circadiens, soutiens d’une bonne santé – des repères identitaires et maintenir l’identité d’élève du jeune. Celle-ci n’étant plus assurée par sa présence physique dans l’environnement de l’établissement, elle doit être maintenue par le contenu proposé via les plateformes et par les activités qui doivent maintenir les liens avec les professeurs et les autres élèves
  • Valoriser les réussites quelles qu’elles soient sans hiérarchie permet de maintenir l’accrochage au domaine scolaire
  • Évaluer, sans noter, le travail à domicile peut faire l’objet d’une évaluation formative mais pas sommative
  • Proposer aussi des activités moins “scolaires” qui favorisent des processus de coopération, d’entraide entre les jeunes et entre jeunes et professeurs ou membres de la communauté éducative

La continuité pédagogique s’inscrit dans une nécessaire continuité éducative du service public d’éducation. La façon dont nous la mettons en œuvre va conditionner, pour une part, le retour des élèves que nous devons dès maintenant anticiper.

La situation exceptionnelle et soudaine dans laquelle nous sommes pris nous oblige à sortir encore davantage de nos zones connues, de nos zones de confort. Nous avons besoin les uns des autres pour progresser vers de nouvelles pratiques, peut-être aussi de nouveaux paradigmes afin de ne laisser personne sur le bord du chemin, élèves, parents, professionnels.

 

De la continuité éducative à l’accompagnement des personnels

Anne Hovart, conseillère en développement Mission innovation expérimentation

Dans l’article de The conversation du 16 mars 2020, les experts recommandent notamment de “créer des groupes d’échanges et de soutien en ligne sur le vécu d’expérience du confinement”. Ce vécu qui, de fait, se révèle pour le moins déstabilisant. En ce sens, assurer la continuité pédagogique suppose avant tout de pouvoir tenir compte de la rupture qui la sous-tend, et non pas de la nier. Le confinement met à l’épreuve le cadre qui relie institutionnellement l’école et la société en questionnant sa place et ses fonctions. Certains enseignants, pour de multiples raisons, peuvent se trouver plus vulnérables face à ces affects de déliaison subjective qui nous traversent tous actuellement : tâtonnements,  doutes, enthousiasmes, précipitations, découragements, etc.

Comment maîtriser ces vacillements professionnels et pédagogiques ? Organiser des temps d’échanges par visioconférence, ouverts à un petit nombre de professionnels volontaires, à une fréquence régulière, peut être une piste de réponse. À la condition d’expliciter le cadre de manière claire, c’est-à-dire des règles de confidentialité et de bienveillance, et de se centrer sur l’accueil et les attentes des participants. Ce type de dispositif, en s’appuyant sur les ressources d’un petit collectif, constitue un moyen souple et soutenant d’accompagner les enseignants dans cette période de co-formation et de trans-formation. On sait que c’est parce que les enseignants peuvent bénéficier de ressources professionnelles suffisamment étayantes où élaborer leurs propres pratiques que, par homologie, ils pourront accueillir et soutenir les processus d’apprentissage de leurs élèves, par la valorisation, l’écoute, le dialogue.

Un espace de publication des récits de pratiques en temps de confinement pourrait aussi être une ressource précieuse pour reconnaître et mutualiser ce qui s’invente actuellement au quotidien, pépites pédagogiques qui gagneraient à être plus connues et à essaimer. Un groupe de réception et de lecture des textes, sur le modèle d’un comité de rédaction, pourrait par exemple se mettre en place dans ce sens avec les personnes intéressées. Ou pourquoi pas aménager des ateliers d’écriture professionnelle en ligne ?

 

Des groupes d’échange ou cellules d’écoute ont déjà été créés dans des établissements à partir d’espace numérique collectif soit sous l’impulsion du chef d’établissement soit à l’initiative des professeurs sur des ENT ou sur des réseaux sociaux. Dans le cadre de l’accompagnement d’équipes en expérimentation, la Dfie travaille activement pour proposer des espaces d’échanges et de partage en s’appuyant sur son expertise de mise en réseau de professionnels et d’équipes (cartographie des réseaux) afin de vous accompagner pour que les risques que vous prenez se concrétisent en opportunités.

Mission innovation expérimentation du pôle Dfie

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