
Les Graines de mon apprentissage, semer pour mieux récolter
Retour sur un projet innovant au collège Jules Vallès à la Ricamarie (42)
Nous sortons des classes souvent épuisés, lassés, impuissants. Nous le savions, nous travaillons dans un établissement classé REP+, nous connaissions le profil des élèves, nous avions entendu parler de leurs fragilités. Néanmoins, nous avons le sentiment que ces dernières s’accentuent, à moins que ce ne soit notre enthousiasme des débuts qui s’amenuise et qui menace de disparaître. De la bouche de nos élèves, nous entendons une certaine détresse masquée par une indifférence, feinte la plupart du temps. Au collège Jules Vallès de La Ricamarie, le vocabulaire de l’échec se conjugue au présent et met en péril l’avenir des élèves. Les élèves se sentent nuls, « n’y arrivent pas » et force est de constater qu’ils ont raison. Les lacunes en méthodologie sont affolantes, le manque de motivation inquiétant et la concentration, clé de voûte de l’apprentissage, semble avoir disparu des classes. Tous peinent à la définir, et nous-mêmes y parvenons avec difficulté.
Nous sommes interpellés par l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, une piètre estime de soi qui les empêche souvent même d’essayer. Dans les classes, le climat est parfois tendu. Nous ne nous comprenons pas toujours, eux et nous. Le défi est de taille ! Il s’agit de défaire tous les fils qu’ils ont tissés jour à après jour autour d’eux comme un cocon dans lequel ils se réfugient pour s’isoler. Il s’agit d’innover pour leur redonner confiance en eux.
En 2017, nos recherches débutent. Nous tentons de comprendre ce qui se trame dans les profondeurs du cerveau de nos élèves. L’aventure commence avec la découverte de la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner. Selon lui, il existerait huit intelligences, que chaque individu posséderait mais développerait à des degrés divers. Nous sommes ravis et impatients d’annoncer à nos élèves qui peinent en mathématiques ou en français qu’ils ont en réalité développé des intelligences différentes, comme l’intelligence corporelle, qui les rend « bons » en EPS ou l’intelligence interpersonnelle, qui fait d’eux de grands bavards capables d’orchestrer un travail de groupe. Mieux encore, ils peuvent se servir de ces points forts pour améliorer leurs compétences dans les disciplines où ils se sentent en échec.
La première année, nous mettons en place des heures dédiées à la découverte des huit intelligences et à leur utilisation pour apprendre une leçon, comprendre un exercice. En parallèle, l’assistante sociale, Madame Dechavanne, à qui nous avons fait part de nos inquiétudes et qui travaille depuis plusieurs années sur l’estime de soi et le bien-être des élèves, met à notre disposition des ressources et nous propose de travailler avec elle. Commencent alors les rituels « bien-être et estime de soi » : yoga, relaxation, méditation, expression des émotions en début d’heure, jeu de l’ange gardien. Les élèves s’apaisent, il est enfin possible de travailler. Les conflits en classe, entre élèves et enseignant, se font plus rares. Les effets sont presque immédiats et ces pratiques entreront définitivement dans nos enseignements.
En 2017, la Principale du collège, Madame Barlerin, très intéressée par le projet, nous met en contact avec la CARDIE afin d’officialiser notre démarche et de faire valider les fondements de notre projet. Notre accompagnement par le pôle DFIE débute cette année-là, après la rédaction du projet. Baptisé Apprendre autrement, ce dernier correspond aux critères des projets innovants, et nous mettons tout en œuvre pour le développer, l’étendre à l’ensemble de nos élèves et le présenter au reste de l’équipe pédagogique car même si sous en sommes encore aux prémisses, nous pressentons son potentiel.
Nos recherches se poursuivent et nous découvrons le programme ATOLE, développé par le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, dont les théories deviendront l’un des piliers de notre projet. L’attention est l’une des clés pour apprendre. Nous ajoutons ensuite une corde à notre arc avec le programme Mémé Tonpyj, élaboré par des neuroscientifiques. Les quatre axes de notre projet sont dès lors définis : l’estime de soi et le bien-être, le sommeil, l’attention et les intelligences multiples.
En 2017, le projet est mis en œuvre dans une classe de sixième et une classe de cinquième. En 2020, l’intégralité des classes de sixième, cinquième et quatrième, bénéficient d’une heure d’AP dédiée au projet inscrite dans leur emploi du temps. Trois autres enseignants ont rejoint l’aventure : Messieurs Bonnaud, Chapuis et Correia.
À la rentrée scolaire 2020, nous déposons notre candidature sur Innovathèque pour participer à la Journée Nationale de L’Innovation et notre projet est retenu et rebaptisé Les graines de mon apprentissage. En interne, au sein de l’établissement et du Réseau d’Éducation Prioritaire dont fait partie le collège, nous multiplions les supports et les rencontres pour essaimer ces nouvelles pratiques et organisons des rencontres avec les professeurs des écoles de La Ricamarie. Nous nouons également un partenariat avec le collège Anne Frank de Saint-Just-Saint-Rambert, où nous allons présenter notre projet à une équipe travaillant sur des problématiques similaires.
Les deux coordinatrices du projet se forment depuis 2019 pour devenir « passeurs » en neurosciences, et plus particulièrement du programme ATOLE, et obtiennent la certification en 2021.
En parallèle, nous demandons la labellisation du projet, que nous obtenons en avril 2021. Les graines de mon apprentissage, est officiellement reconnu comme projet innovant, et fera par ailleurs partie des 25 lauréats mis à l’honneur lors de la Journée Nationale de l’Innovation du 7 avril 2021.
Cette année scolaire est marquée par une reconnaissance à la fois académique et nationale et nous mettrons tout en œuvre pour que le projet continue de semer ses graines innovantes, au service d’une école dans laquelle les élèves se sentent en situation de réussite, gagnent en estime d’eux-mêmes et prennent plaisir à apprendre.
Dounya-zad Choual et Solène Rabatel, enseignantes d’anglais et d’histoire-géographie, coordinatrices du projet.