Trois jeux sportifs « innovants » pour mieux apprendre à l’école

Trois jeux sportifs « innovants » pour mieux apprendre à l’école

QUELS JEUX SPORTIFS POUR STIMULER LA RÉUSSITE DES ÉLÈVES ?

Il semble aujourd’hui admis que la pratique d’activités physiques et sportives intervient directement dans la réussite scolaire. Pour autant, sommes-nous bien certains que les situations dans lesquels nous plaçons les élèves, en particulier quand il s’agit de sports collectifs, réunissent les conditions les plus propices pour bien “apprendre” ? 

Le recours aux seuls duels (d’individus ou d’équipes), aux situations d’oppositions corporelles directes, la recherche  d’un vainqueur au sein d’espaces fermés génèrent son lot de tensions et de déceptions. La convoitise d’un même objet valorise trop souvent la seule force physique et induit une agressivité qui nous semble souvent compliquer la recherche de mixité, d’hétérogénéité, de faire et de vivre-ensemble : autant de finalités sur lesquelles les éducateurs s’accordent pourtant. 

Nous présentons ci-dessous trois jeux sportifs « innovants » car en nette rupture avec les sports collectifs classiques, et pertinents pour développer des apprentissages.

LE KIN-BALL, LE RESPECT ET LA DISPONIBILITÉ

Le Kin-ball est un sport collectif créé au Québec, l’objectif est de ne pas faire toucher le ballon au sol, le ballon ayant un diamètre de 1,22 mètre ! L’équipe en jeu appelle l’équipe adverse juste avant de lancer la balle. L’équipe appelée doit récupérer la balle avant qu’elle ne tombe par terre, avec n’importe quelle partie du corps. Ce jeu s’accompagne de règles favorisant la coopération puisque l’esprit d’équipe est directement sollicité : tous les membres de l’équipe doivent par exemple être en contact avec le (gros) ballon au moment des remises en jeu, l’ensemble de l’équipe appelée doit le rattraper avant qu’il ne touche le sol.

Le « respect envers l’adversaire », tellement souhaité et si souvent invoqué dans le monde des sports, est ici concrètement suscité par le fait que les actions des joueurs seront organisées vers ce ballon et non vers (et contre) les corps des joueurs de l’autre équipe. Les joueurs sont soit porteurs du ballon, soit susceptibles d’être appelés, ce qui sollicite l’attention constante et mobilise la disponibilité de tous les joueurs, à chaque phase de jeu. 

Au-delà de la forme finalisée du jeu, la manipulation du ballon de Kin-ball est propice à la mise en place de nombreuses situations ludiques coopératives.

LE TCHOUKBALL, UN SPORT COLLECTIF INNOVANT SÉCURISANT

Inventé dans les années 70 par un médecin suisse, le Tchoukball se joue à l’aide de deux « cadres » qui sont deux surfaces de renvoi spécifiques (ou adaptées aux moyens du bord comme par exemple des trampolines inclinés). Chaque équipe cherche à faire en sorte que l’autre ne puisse rattraper le ballon lancé sur les cadres.

L’espace de jeu est commun (pas de camps attribués) et il n’est pas permis d’intercepter les passes de l’équipe qui construit son attaque, ni de gêner les attaquants, y compris de manière involontaire. 

De cette contrainte naît une intéressante liberté offerte au joueur porteur du ballon, qui sera débarrassé de la « pression » classique habituellement ressentie par ces joueurs en sports collectifs. La trajectoire du rebond étant symétrique, la défense concerne chaque membre de l’équipe qui devra d’abord « lire » le jeu de l’autre équipe pour anticiper les trajectoires et occuper les espaces potentiels où le ballon pourrait retomber. Il en résulte une « confrontation physique intense mais dépourvue de violence corporelle qui présente l’avantage de permettre de faire jouer à rôle égal filles et garçons, jeunes et plus âgés, participants réputés brillants et participants souvent considérés comme « faibles » (CEMÉA).

LES « LIAISONS DANGEREUSES », UN JEU NATURELLEMENT « MOTIVANT »  

Les liaisons dangereuses est un jeu sportif qui suscite un fort investissement des joueurs.  Ces derniers sont groupés par équipes de deux (chacun d’une couleur différente), dépendants et solidaires de fait. Si un joueur touche avec le ballon un autre participant de la même couleur que lui, ce dernier (et son binôme) sortent de l’aire de jeu.

 

Les joueurs ainsi touchés seront par la suite les seuls à pouvoir récupérer le ballon lorsqu’il sortira des limites du terrain et ils pourront le rendre à qui ils voudront, généralement en invitant les joueurs encore en jeu à toucher un des membres du binôme les ayant (provisoirement) “éliminés”…car dans ce cas, ils  pourront revenir en jeu !

En savoir plus sur ce jeu et ses règles.

La structure de ce jeu sportif démultiplie les possibilités d’agir en proposant une multitude de sous-rôles (possesseur du ballon, demandeur, négociateur, observateur, protecteur…). Elle permet à l’ensemble des joueurs d’expérimenter à la fois des relations d’opposition (chercher à éliminer d’autres binômes) et de coopération (protéger mon coéquipier dès qu’un joueur de la même couleur que lui a le ballon,  négocier une alliance avec des joueurs quand j’ai été touché…).

Comme dans le jeu bien connu « Poules, Renards, Vipères », le fort investissement  repose sur les aspects relationnels qui s’instaurent entre les joueurs. En effet ce sont des jeux dit « paradoxaux » car les règles ne permettent pas à un joueur de savoir si les actions d’un autre vont tout au long de la partie être de l’ordre de la coopération ou de l’opposition, contrairement aux jeux « exclusifs » où les règles déterminent à l’avance pour chacun qui sera l’adversaire, qui sera le partenaire, sans que ni les joueurs ni les péripéties ludiques ne puissent modifier cela. La logique interne des jeux paradoxaux s’appuie sur la richesse et la complexité des communications motrices. Les revirements de situation suscitent des séquences relationnelles contradictoires et intenses, relativement proches des relations de la vie quotidienne.

APPRENDRE À JOUER, APPRENDRE EN JOUANT

Les conduites motrices d’un joueur engagent l’ensemble de sa personne et c’est à ce titre que ces jeux peuvent être de puissants leviers pour permettre aux élèves d’agir à l’école en se sentant en sécurité physique, affective et émotionnelle, en sachant notamment que l’on ne risque pas d’être mis en position dévalorisante.

Ces situations ludiques sont de nature à agir sur les situations d’apprentissages rencontrées en dehors des activités physiques, parce qu’elles auront été des espaces potentiels de renforcement du plaisir d’être à l’école, de développement d’une meilleure confiance en soi, d’une reconnaissance positive de soi-même et de ses pairs en étant en réussite. Autant de points d’appuis qui pourront l’aider :

« Lorsqu’un élève se reconnaît capable de réussir un travail, les chances d’y arriver seraient plus fortes que dans le cas contraire, il disposerait alors de repères intérieurs sous forme de signaux l’accompagnant dans le processus d’incertitudes qu’est l’acte d’apprendre » (Sylvain CONNAC).

Si nous avons pu observer des élèves prendre d’abord une place dans un groupe classe avec leurs corps, grâce aux sollicitations de ce type de jeux, nous avons également pu constater que ce processus est d’autant plus efficient lorsque le plaisir de jouer est préservé, lorsque le jeu choisi avec soin n’est pas dénaturé ou instrumentalisé à des fins trop éloignées des personnes :

« L’enfant ne joue pas pour apprendre ; il apprend parce qu’il joue » (Jean EPSTEIN).

Laurent BELLENGUEZ

Professeur des écoles et directeur de l’école primaire de Chevroux (01) 

Membre du groupe de recherches « Jeux et Pratiques Ludiques » des CEMÉA 

Article dans sa version intégrale avec les références, disponible ici

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